Chroniques

par hervé könig

Mozart, Rihm et Strauss par Tzimon Barto
Südwestrundkunk Sinfonieorchester, Christoph Eschenbach

Liederhalle, Stuttgart
- 20 janvier 2017
le pianiste Tzimon Barto joue Mozart, Rihm et Strauss avec orchestre !
© malcolm yawn

Le 28 août 2014, au Salzburger Festspiele, le Gustav Mahler Jugendorchester créait le Concerto pour piano n°2 de Wolfgang Rihm – une commande groupée de ce festival et de cette formation, avec le National Symphony Orchestra (Washington). La partie soliste était tenue par Tzimon Barto, dédicataire de l’œuvre, tandis que Christoph Eschenbach battait la mesure. Deux ans et demi plus tard, dans le cadre de la résidence du pianiste au Südwestrundkunk Sinfonieorchester, cet opus est programmé à la Liederhalle de Stuttgart où il ouvre un programme-fleuve de trois pages concertantes.

La surprise n’est pas des moindres à découvrir une pièce en deux mouvements dont le premier pourrait être un concerto pour piano et orchestre d’Alban Berg, si le Viennois s’y était essayé. Rihm s’est souvent posé la question de la tradition, et c’est justement en se montrant particulièrement productif dans le genre concertant qu’il a tenté de répondre à ses interrogations de l’avant-garde. Andante, cantabile, scorrevole, inquieto commence dans un halo de piano doux, avec deux clarinettes. La rondeur du son de Tzimon Barto – l’artiste paraît avoir beaucoup de plaisir à jouer son concerto, à en juger par le sourire qu’il affiche durant toute l’exécution – vient caresser le clavier comme par fantaisie, calculant une pédalisation très sophistiquée. Les cors viennent soutenir le lyrisme toujours plus chantant du piano, relayés par un bref trait de flûte solo. Des effets de dynamique assez mobiles se fondent sans contraste. La clarinette basse et le basson s’échangent un thème qui contrepointe le discours pianistique. Trombone, trompette et timbales introduisent un climax mahlérien qui n’aboutit pas. Le Rondo (Allegro ma non troppo) s’enchaîne attacca dans un ostinato soliste qui rappelle Bartók, avec quelque chose d’ornemental. À mi-parcours, les cloches signalent un retour à Berg et une redoutable partie de hautbois, somptueusement tenue. Le dessin délicat du premier violon et le muscle de la harpe engendrent la cadenza sur une pédale de cordes. Le final est différé trois fois, alternant les accords feutrés du tutti à un résidu du phrasé au piano, fantomatique. Bel accueil est réservé à cette page d’une petite demi-heure où chacun s’est révélé au mieux de ses qualités.

L’œuvre de Rihm se concluait dans un Rondo. Aussi est-ce avec le Rondo pour piano et orchestre en la majeur K.386 de 1782 que la soirée se poursuit. Sans baguette, Eschenbach dirige une introduction lumineuse. L’entrée du piano cède rapidement à un rubato maniéré. La lecture de Barto va de mal en pis dans une nuance monochrome et une autosatisfaction presque exaspérante. Les ralentis n’en finissent plus ! Se cantonnant à la mignardise, le soliste passe à côté de Mozart – rien de commun avec le Concerto K.466que nous applaudissions hier [lire notre chronique de la veille].

Grand admirateur de Mozart, surtout dans ses opéras, Richard Strauss est un homme de son temps, celui d’un romantisme essoufflé. À vingt-deux ans, il écrit une Burlesque en ré mineur pour piano et orchestre dont il dirigera lui-même la première avec Eugen d’Albert au clavier, en 1890. C’est elle que Tzimon Barto inscrit à son marathon concertant. À la majesté du prélude, avec ses roulements de timbales, suit la virtuosité affolante de la partie soliste. Ici, le SWR Sinfonieorchester brille luxueusement de tous ses pupitres, tandis que la vedette fait la vedette en alanguissant les passages lents façon Rachmaninov mal digéré. Le chef le suit, naturellement, dans une version qui s’attarde quatre minutes de plus que celles de Richter et d’Argerich, voire cinq par rapport à Serkin, Arrau et Gulda. Qui a raison ? Cherchons un peu… Il existe un live par Alfred Blumen et Strauss himself à la barre, capté à Londres le 19 octobre 1947 : dix-huit minutes et trente secondes, c’est loin des vingt-trois minutes quinze de ce soir [écouter YouTube] !

Retour à Vienne, en 1812, où Ludwig van Beethoven compose sa Symphonie en fa majeur Op.93 n°8. Christoph Eschenbach engage l’Allegro vivace e con brio dans une tonicité bluffante, tout en soignant fidèlement chaque détail et le relief des timbres. Il y a une sorte de fureur péremptoire dans ce premier mouvement. L’Allegretto scherzando surprend par une lourdeur qui en fait un ballet d’opéra à la française, ponctué de vrombissements exagérés. Le Menuetto se déploie ensuite dans un pas parfaitement mesuré. Le rendu dynamique est savoureux, avec un esprit hérité d’Haydn. L’effervescent Allegro vivace s’enchaîne sans trêve, conclusion dont frappe la modernité, quelques sept décennies avant Strauss. Les accords finaux s’acharnent avec vigueur. Bravo !

HK